Des chants et de la musique couleur du temps

Reflet d’un vitrail, bas. du Sacré-Coeur à Paray-le-Monial (71), France.

Par Bernadette Mélois, Directrice du SNPLS

L’année liturgique est une traversée dynamique du temps qui trouve son sens ultime dans la plénitude du mystère pascal. C’est du mystère pascal que se nourrissent toutes les liturgies auxquelles nous participons, mais, si notre âme en est restaurée dans chaque célébration, notre intelligence et notre sensibilité le goûtent dans le « peu à peu » du temps qui s’écoule. Le « peu à peu » est nécessaire à notre entrée dans la connaissance du mystère de Dieu, et l’Eglise, dans sa sagesse pédagogique, a déployé l’immense richesse du mystère pascal au long du cycle annuel. Du premier dimanche de l’Avent jusqu’à la fête du Christ Roi de l’univers, les chrétiens sont initiés au mystère pascal, initiation qui ne prendra fin que dans l’éternité.

Si la jeune Eglise avait conscience de célébrer le mystère pascal en chacune de ses liturgies, la conscience de l’année liturgique comme un ensemble théologiquement cohérent doit beaucoup au travail de Dom Guéranger et à son Année liturgique1. Le retentissement de ce travail s’est fait entendre dans la Constitution sur la liturgie qui confirme l’expression et son contenu théologique en y consacrant un chapitre entier2.

La Pâque du Christ illumine chaque célébration, mais l’Alleluia pascal ne retentit pas de la même manière dans la nuit de Pâques que dans l’attention délicate du nouveau-né de la crèche. Alleluia qui parvient même à s’effacer tout au long du Carême pour renaître et resplendir de l’inouï de la Résurrection. Ce simple regard sur l’Alleluia nous conduit à nous poser la question du rapport des chants au temps dans la liturgie.

De la couleur du temps …

Peau d’âne avait ses raisons de vouloir une robe couleur du temps. En liturgie, « la variété des couleurs pour les vêtements liturgiques vise à exprimer efficacement et visiblement ce qui caractérise les mystères de foi que l’on célèbre et par suite le sens de la vie chrétienne qui progresse à travers le déroulement de l’année liturgique »3. Voilà un repère simple pour la liturgie, quatre couleurs qui donnent à voir rapidement les principales caractéristiques du temps liturgique : par exemple la fête en blanc, la pénitence ou la préparation pénitentielle en violet.

Le chant dans nos liturgies rend-il si facilement ce service ? Laissons-nous au chant et à la musique la capacité de caractériser, selon leur mode propre, les mystères de foi que nous célébrons ? Nos chants connotent-ils véritablement le temps liturgique ?

… à la couleur du chant

Si l’Alleluia sait passer par toutes les couleurs du temps, voire même disparaître au profit d’une heureuse « abstinence », les parties chantées et l’accompagnement musical de la célébration liturgique sont appelés à suivre le même mouvement qui n’est autre que celui du temps qui avance dans le rayonnement pascal.

Les chants et la musique font entendre la couleur du temps. L’Avent développe des tonalités bien différentes de celle du Carême, quant au Temps pascal, il déborde d’une allégresse qui ne se retrouve pas de la même manière dans le Temps ordinaire. Il en va de l’intelligence de la liturgie que de donner au chant la couleur qui s’harmonise avec l’ensemble de la liturgie célébrée dans le temps des hommes d’aujourd’hui.

Chant et musique, nœud d’une rencontre

La musique appartient au langage non verbal de la liturgie, elle entraîne les fidèles sur le terrain de l’expérience sensible. Elle fait goûter la présence du Christ qui parle sous un autre mode que le nôtre.

Le chant reçoit de la musique sa capacité de « séduire »4, c’est-à-dire à conduire plus loin que lui-même et à toucher au cœur. En même temps, les paroles qu’il énonce donnent sens à cet au-delà qu’il dévoile. Parole et musique s’unissent dans une étroite connexion pour déployer les textes liturgiques et conduire les fidèles à la rencontre du Christ qui se donne.

Le chant et la musique sont comme la pluie et la neige qui fécondent la terre de notre humanité pour lui faire produire le fruit divin. C’est pourquoi le chant et la musique ne peuvent pas être ajoutés à la liturgie comme un simple ornement, ils ouvrent le chemin de Dieu vers l’homme et de l’homme vers Dieu.

Le service de la liturgie

Le chant doit « être accordé à l’action sacrée, au caractère du jour ou du temps5. Il en va de même pour la musique. La Fête des fêtes, Pâques, verra jaillir des polyphonies lumineuses entraînant toute l’assemblée dans l’expression du chant nouveau de la vie nouvelle. Et cette lumière lui sera réservée. Noël qui célèbre la venue du Sauveur aura une joie aux accents de tendresse dont nos oreilles gardent bien la mémoire grâce aux nombreux cantiques populaires. En Avent et en Carême, la sobriété est de mise. Le chant à une seule voix conviendra, l’accompagnement musical travaillera dans les demi-teintes. Ces temps de préparation gagneront à creuser le manque pour qu’éclate davantage la joie de la fête. C’est le vide qui fait désirer la rassasiement, et c’est dans le silence que la Parole se fait entendre.

Du choix et du discernement

La réforme conciliaire a ouvert la porte à une vaste création de chant liturgique. Heureux foisonnement de l’expression de la foi, mais en contrepartie, difficulté croissante dans le choix d’un répertoire bien ajusté au temps liturgique.

Le répertoire grégorien possédait des chants propres à marquer fortement les temps liturgiques, tel le Rorate caeli desuper de l’Avent. Nul ne pouvait ignorer le temps dans lequel il entrait en entendant ce chant. Il est bon, dans les communautés paroissiales, de retrouver l’usage d’un chant propre à connoter un temps liturgique donné. Ce chant qui sera repris plusieurs dimanches à la suite pourra marquer nettement le temps de Dieu dans l’histoire de notre propre salut. On pourra en varier la mise en œuvre pour éviter un éventuel ennui ou une possible saturation de l’assemblée.

Le choix d’un chant commun à tous les dimanches d’un temps privilégié, peut aider à structurer la mémoire croyante des fidèles. Une autre manière de donner au temps une couleur propre est de prévoir un même ordinaire de messe pour tout un temps liturgique, ordinaire repris l’année suivante et omis le reste de l’année pour, justement, lui garder sa couleur. Il conviendra de discerner cet ordinaire pour ses qualités musicales en regard du temps là encore, peut-être plus retenu et intimiste pour l’Avent et le Carême ; plus populaire et festif pour Noël, Pâques ou la Pentecôte, plus neutre pour le temps ordinaire. Ce procédé simple manifeste l’unité du temps en lui donnant une sorte d’identité musicale et contribue à créer par le chant une véritable mémoire de l’année liturgique. Il permet aussi aux assemblées d’entrer plus facilement dans le chant qu’elles ont le temps de s’approprier.

De l’ordinaire du temps

Les temps privilégiés ont cette faculté de souligner une facette particulière du mystère. Il est possible de leur donner ces couleurs propres à les identifier. Qu’en est-il du temps ordinaire et de ses dimanches ? Les dimanches au cours de l’année ne déploient pas d’autre mystère que le mystère pascal, le dimanche vécu comme la Pâque hebdomadaire. Plutôt que de « coller » à l’évangile et de faire du chant une paraphrase de celui-ci du début à la fin de la célébration, il conviendra mieux de s’attacher au rite que le chant accompagne. Le chant d’entrée a pour but « que les fidèles qui se réunissent réalisent une communion et se disposent à bien entendre la parole de Dieu et à célébrer dignement l’eucharistie6. » Cela signifie que le chant d’entrée concourt à faire des fidèles dispersés un peuple en prière qui unit sa voix et son cœur pour prendre part à « l’œuvre de rédemption7« . Quant au chant de communion, il vient « exprimer par l’unité des voix, l’union spirituelle entre les communiants », il vient aussi manifester le « caractère communautaire de la procession » de communion. Le choix des chants vient alors rendre compte de l’union des fidèles en Christ plutôt que de la Parole entendue dans l’évangile, ce qui ne minimise en rien cette dernière puisque la Parole entendue donne sens à l’acte de communion lui-même.

La liturgie est faite de détails qui appartiennent à la ritualité. S’il n’est jamais bon de focaliser l’attention sur le détail, il est bon de le mettre au diapason du mouvement général de la liturgie et donc de l’année liturgique. Or le chant n’est pas un détail, il est « partie nécessaire et intégrante de la liturgie ». Il lui revient donc d’être en connexion étroite avec le temps liturgique dont il donne à goûter la spécificité. Le chant et la musique justement convoqués au service de la liturgie ouvrent les cœurs à l’intelligence du mystère pascal déployé sous ces différents aspects au long de l’année liturgique.

Notes :

1. Dom Guéranger rédigea l’‘Année liturgique entre 1841 et 1865. L’ouvrage pénétra facilement le tissu ecclésial. Il offrait une formation de spiritualité liturgique tant nouvelle que de qualité. Thérèse Martin parle dans ses Manuscrits autobiographiques de la lecture familiale de l’Année liturgique

2. Sacrosanctum Concilium, chapitre 5, N° 102 à 111

3. Présentation générale du Missel romain (PGMR) n° 345

4. Le mot est à entendre en référence au livre d’Osée : « C’est pourquoi – dit Dieu – je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. » (Os 2, 16)

5. PGMR n° 48

6. PGMR n° 46

7. Sacrosanctum Concilium n° 2

Cet article a été extrait de la revue Célébrer n°367

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