Le jardin liturgique

Composition florale réalisée par le frère Didier pour une célébration à l'Abbaye de Tamié

Composition florale réalisée par le frère Didier pour une célébration à l’Abbaye de Tamié

Par Frère Didier, Moine cistercien de l’Abbaye de Tamié

Depuis bientôt un demi-siècle, le renouveau de la liturgie et le partage accéléré des cultures ont fait naître un nouvel art floral liturgique. La composition florale est devenue un véritable acteur de la célébration. Elle doit donner sa note juste – et juste sa note ! – dans la symphonie des signes qui sont tous au service de la Rencontre : l’union avec Dieu et la communion fraternelle.

Il y a de nombreux fleurissements possibles dans la liturgie chrétienne : bouquet d’accueil, décor festif, mise en valeur de la croix… Tous sont là pour permettre à Dieu de manifester sa présence, et à nous de célébrer l’Alliance. Mais la composition florale indispensable, je la nomme : « composition eucharistique ». Elle est en lien direct avec l’ambon de la Parole ou avec la table du repas du Seigneur. Elle est là pour nous inviter à reconnaître le don de Dieu et à entrer dans le mouvement de la vie de l’Esprit, mouvement incessant d’accueil et de don : recevoir la grâce et rendre grâce. La composition florale est servante de la contemplation, bien sûr pendant la célébration, mais aussi en tout temps dans l’espace silencieux du sanctuaire….

Et si la liturgie nous rend contemporains de l’événement du salut, cela est vrai aussi de tout moment de recueillement dans l’oratoire du cœur. Ainsi, ce que je dis du « bouquet eucharistique » est également valable pour le bouquet de mon « coin prière » et de ma salle de séjour.

Il s’agit toujours de recueillir amoureusement le souffle de la création et de la transmettre humblement… d’offrir en retour la création au Créateur et à ses enfants bien-aimés, en la transfigurant – cela, c’est Dieu qui, dans sa bonté, nous donne de magnifier sa création ! Transfigurer, ce n’est pas tout chambouler, c’est faire apparaître la beauté et faire entendre le message de vie, d’amour, de gratuité…. capable de nous évangéliser au plus profond de nous-mêmes. C’est pourquoi la « composition florale eucharistique » sera toujours un jardin – un jardin, c’est la nature accueillie et transfigurée -, un jardin liturgique, un jardin d’Epiphanie où Dieu pourra se manifester, où nous pourrons le reconnaître, où nous pourrons entendre son « Je t’aime » et où nous pourrons lui dire notre « Je t’aime » et où il pourra s’offrir à nous et où nous pourrons nous offrir à lui… et où nous pourrons aussi vivre la communion entre nous…. Simone Weil a dit que « la beauté est le sacrement du sourire de Dieu », alors combien plus ce jardin liturgique a-t-il une densité sacramentelle ! Un jardin qui a toute la beauté du paradis terrestre, mais transfiguré… pour inaugurer le paradis qui vient, nous faisant respirer déjà son parfum d’éternité…

Un jardin où l’on se sent bien, où l’on se sent heureux, rénové, comme un enfant et dans la plénitude, un jardin où l’on peut cueillir la beauté, mais aussi la bonté » et la vérité, un jardin d’émerveillement. Un jardin pour dire « Oh ! »… Et d’ailleurs, c’est ce « Oh ! » qui va nous ouvrir la porte du jardin, au seuil du silence, qui, seul, peut nous y faire demeurer… Tout artiste – qu’il soit créateur ou simplement contemplatif comme chacun de nous – fait un jour cette expérience, ce baptême des larmes d’émerveillement qui, seul, peut consacrer au ministère de la beauté. Un jour, on se met à pleurer devant cette éphémère beauté à travers laquelle se manifeste l’éternelle Beauté. Cette expérience est une œuvre de l’Esprit Saint qui illumine notre regard intérieur pour nous faire voir l’invisible dans le visible, mais elle est aussi provoquée par l’intensité de la beauté que l’on contemple… Aussi cherchons nous, comme tous les artistes, à susciter, par l’intensité de la beauté offerte, cet émerveillement qui ouvre à la Rencontre, à ‘l’unique nécessaire ». Et voici le chemin que je propose. Il faut le parcourir comme on se laisse entraîner par le déroulement d’une symphonie. Et si vous avez appris des choses, s’il vous plaît, il faut tout oublier pour partir à neuf…et arriver encore plus neufs !

Au point de départ, trois accords … Seulement trois accords, mais d’une telle plénitude qu’ils vont résonner tout au long du chemin, jusqu’au bout de la symphonie.

La disponibilité à la Présence :

Je ne suis pas seul, mes mains d’artiste sont entre les mains de l’Artiste.. Je crée avec lui et pour lui. Il crée avec moi et pour moi… et pour tous.

Le bonheur :

Recueillir la beauté et faire émerger encore plus de beauté, si ce n’est pas un immense bonheur, inutile de commencer.

La nature :

Nous ne quitterons jamais le chemin de la nature avec le rythme des saisons, le respect de chacun des végétaux choisis (ses couleurs, ses lignes, sa croissance propre… qui est son langage propre) et nous composerons par étapes naturelles : d’abord la terre (vase, panier, pierre, racine…), puis la végétation des herbes et des feuillages, enfin la floraison et les fruits. Quant à l’architecture de la composition, elle sera naturellement engendrée par la courbe d’une souche, l’élan d’une branche, le volume d’une touffe florale… Jamais de formes contraignantes et conçues à l’avance, mais toujours l’accueil et l’offrande de la création infiniment variée et toujours surprenante. Puis notre symphonie nous entraîne par cinq mouvements, chacun étant composé de trois thèmes tressés, pour s’achever, ou plutôt s’accomplir sur un accord final sans fin : la reconnaissance.

  • Le 1er mouvement est constitué par l’émerveillement, le choix, l‘harmonie. Ici, pour comprendre, il faut être amoureux…et bien assuré que l’on suscite la plus grande force d’expression quand on peut dire le plus ou le moins, tout avec presque rien. Quant à l’harmonie, c’est « Je cherche deux notes qui s’aiment », comme disait Mozart enfant, entre les éléments naturels et entre contenant et contenu. Harmonie aussi avec l’espace et les autres signes de la célébration. Harmonie avec le temps naturel et liturgique… car le jardin liturgique est rythmé par des saisons spirituelles et cherche l’accord avec les différents temps de prière : pénitentiel, baptismal, festif ou férial. L’harmonie fondamentale est avec la Parole de Dieu proclamée – ce qui est fort délicat, car la composition doit évoquer sans représenter, offrir un visage sensible en restant ouverte à tous les échos possibles de la Parole et elle devra toujours refléter le mystère pascal que l’on découvre chaque fois que l’on médite l’Ecriture en profondeur. Le jardin liturgique portera donc l’empreinte du jardin de l’Ensevelissement et du jardin de la Résurrection.
  • Dans le 2ème mouvement, les trois thèmes forment une seule réalité : mouvement de recueillement et de rayonnement, cette structure partout gravée dans la création, qui est la signature indélébile du Créateur-Tout-Amour et dont le dessin le plus simple est la croix.
  • Ensuite le 3ème mouvement – Enracinement, Assomption et embrassement – va justement nous permettre de vérifier que la croix stabilise et dilate la composition, nous rappelant que Dieu nous aime jusqu’au plus abyssal de nous-mêmes, pour nous élever en gloire, un Amour inconditionnel pour tous, de toujours à toujours.
  • Cet Amour s’exprime dans le 4ème mouvement en naissance, alliance et trinité… Chaque composition pouvant mettre l’accent davantage sur tel ou tel visage de l’Amour.
  • Et enfin, le 5ème mouvement – Lumière, transparence et évidence – nous invite à clarifier la composition, à préférer la simplicité pour que le bouquet puisse respirer et signifier le désir. Il y a un inachèvement nécessaire à l’accomplissement du jardin liturgique. Allons-nous comprendre un jour (enfin !) que les espaces pleins sont au service des espaces libres, que le visible est là pour nous conduire à l’invisible, que le jardin liturgique est pascal, qu’il passera et qu’il doit déjà s’effacer pour nous faire passer vers l’au-delà.

Et nous voici pleins de reconnaissance. C’est l’accord final – qui n’a pas de fin. Reconnaissance de la beauté de Dieu, Amour qui se donne à l’infini.

Reconnaissance de la beauté de l’homme pleinement vivant dans le souffle de la Résurrection, pleinement libre parce qu’il se sait aimé à l’infini et capable d’aimer à l’infini.

Reconnaissance comme gratitude, comme louange, comme eucharistie.

Reconnaissance comme une incessante naissance à l’union et à la communion.

En réalisant des jardins liturgiques ou simplement en s’y promenant et en s’y arrêtant (s’arrêter pour être là, pour recevoir, pour devenir joie…), avant de les traverser, je deviens ce que je suis : fils bien-aimé et frère de tous… Fleurissons donc à « la louange de la gloire » !

Cet article a été extrait de la revue Célébrer n°366

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